lundi 23 novembre 2009

Lettre de Jean Bousquet à la presse

Bonjour,

À la requête du Comité des arbres de Charlesbourg, j’ai procédé samedi à une reconnaissance sommaire des lieux ayant fait l’objet d’abattage d’arbres perdurant depuis le début du mois de novembre dans le secteur de la Rivière des Roches. Ces abattages n’auraient pas été autorisés selon les rapports dans les journaux. J’ai examiné les empilements de bois aux abords du chantier de coupe et d’ouverture de rue à l’intersection formée par les rues Des Grizzlis et Des Coyotes.

Un autre chantier de coupe a été constaté un peu plus au sud-est à l’intersection des rues Des Loutres et Des Tulipes (voir carte jointe). Le chantier principal de la rue Des Coyotes m’est apparu vaste, avec des abattages et ouvertures de rue couvrant plus d’un hectare et s’enfonçant sur quelques centaines de mètres dans le boisé. Le chantier était bien organisé avec la présence d’équipements lourds dispersés, des roulottes, et de grands panneaux publicitaires annonçant le projet et indiquant notamment que le boisé est protégé (sic “Boisée protégée”, voir plus bas).

À l’entrée principale du chantier, qui n’était ni clôturé ni ne mentionnait l’interdiction de passage, plusieurs empilements de bois ont été notés avec plusieurs troncs de forte dimension représentatifs d’épinette blanche ou d’épinette rouge, donc certains atteignaient les 65 cm de diamètre (2 mètres de circonférence), ce qui est considérable pour des épinettes (photos).

J’ai noté d’autres troncs de sapin et de bouleau. Des comptes de cernes annuels sur les plus gros troncs d’épinette de différents empilements, représentant en toute probabilité des arbres distincts, ont mené à des estimations allant de 100 à 150 ans. Les troncs les plus âgés étaient probablement d’épinette rouge de par la couleur caractéristique de l’écorce, témoignant de la croissance lente de ce grand conifère devenu rarissime sur le territoire de la Ville de Québec.


Le second secteur au coin des rues Des Loutres et Des Tulipes était plus en pente et témoignait également de coupes dans une petite érablière classée au Répertoire de milieux naturels d’intérêt de la Ville de Québec (2005) comme un secteur sensible et de grand intérêt qui aurait dû fait l’objet d’une conservation intégrale pour la récréation par exemple. L’ampleur constatée de l’abattage à cet endroit ne correspond en aucun point à de la protection ou de la conservation mais plutôt, à de l’ouverture de rues comme au premier endroit.

De par la taille et l’âge des arbres abattus au premier secteur et de par la nature classée du second secteur, on ne peut qualifier les lieux défrichés comme de simples terrains vagues ou de jeunes peuplements d’arbres sans valeur, comme certains pourraient l’affirmer. En outre, le milieu forestier visité est apparu de qualité, avec des sols riches et profonds permettant notamment à l’épinette rouge d’y être devenue centenaire, et une végétation variée comprenant notamment l’épinette, le sapin, le bouleau et l’érable selon les secteurs visités. J’ignore si la Ville de Québec a considéré sérieusement la qualité de l’érablière et la présence de conifères centenaires à cet endroit avant d’endosser le projet et son tracé de rues. Ou si elle aurait négligé de considérer ces aspects comme au Boisé Neilson en 2008, ou encore comme au printemps 2009 lors de l’autorisation d’une vaste construction ayant soulevé un tollé dans la pinède centenaire du boisé Pie XII à l’entrée du Parc Jacques-Cartier. Avec l’absence d’encadrement de la Ville de Québec, des coupes illégales de pins et de chênes de grande dimension et atteignant les 125 à 140 ans y ont eu cours, suivies d’amendes peu dissuasives et le feu vert pour la poursuite des travaux de construction.

Les présents lieux d’abattage comprenant une érablière classée et, de toute évidence, des conifères centenaires de grande taille auraient dû être protégés par la Ville de Québec, en plus d’un encadrement du chantier et des travaux de déboisement pour éviter les manquements aux règlements de la Ville de Québec rapportés dans les journaux. L’entrepreneur pourrait donc être fautif mais il apparaît que la Ville de Québec ait également une part importante de responsabilité dans cet autre disparition d’arbres centenaires. Elle n’apprend pas de ses erreurs malgré l’indignation générale du Conseil de Ville suite à l’abattage illégal d’arbres centenaires d’avril 2009 au Boisé Pie XII de Ste-Foy.

La Ville devrait être conséquente avec l’indignation de ses représentants politiques et son discours officiel sur la densification, et restreindre la réalisation de tels projets d’étalement urbain en milieu boisé. Si sa politique est réellement de continuer de les promouvoir comme ici, elle devrait cibler des terrains de faible valeur écologique, épargner sa ceinture verte et éviter les secteurs d’arbres centenaires et ceux qui sont classés au Répertoire de milieux naturels d’intérêt de la Ville de Québec. Il y va ici du gros bon sens et de celui des responsabilités vis-à-vis du développement durable. Surtout que la Ville de Québec marque un retard important par rapport à plusieurs autres villes canadiennes (ex. Vancouver, Ottawa-Gatineau, Sherbrooke) quant à la proportion de son territoire en parcs et boisés protégés, et encore plus particulièrement dans l’Arrondissement de Charlesbourg qui ne possède que peu ou pas de grands parcs pour une population de plus de 70,000, et alors que la ceinture verte résiduelle de Québec est attaquée de toutes parts par les développements.

Les photographies jointes peuvent être gracieusement utilisées en mentionnant la source.

Jean Bousquet, ing.f. Ph.D.
Professeur
Faculté de foresterie, géographie et géomatique
Université Laval

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